Etude Polychrome
 
RAPPORT FINAL INSERM 30 Octobre 2009. Rédacteur : Dr Pascal CLERC (CERMES)

Résumé

Les objectifs de cette recherche étaient les suivants :

Phase I : définir de façon empirique la maladie chronique à partir de l’étude des patients pris en charge en médecine générale, caractériser les situations cliniques de ces malades (typologie des maladies chroniques), identifier les combinaisons les plus fréquentes de pathologies chroniques, puis sélectionner et décrire les médicaments les plus fréquemment prescrits dans chaque classe de la typologie.

Phase II : estimer les risques iatrogènes des associations de médicaments observées, évaluer les situations cliniques de poly-pathologie et de poly-médicamentation en se plaçant du point de vue de cliniciens experts, identifier les facteurs déterminants des décisions de prescription des médecins généralistes face aux situations cliniques sélectionnées pour les experts.

Phase III : proposer des solutions aux problèmes posés, en utilisant d’une part les résultats de la recherche analysés en comité de pilotage, et d’autre part les propositions émises par les médecins généralistes au cours des focus groupes.

Les méthodes :
Les données de ce travail sont issues de l’entrepôt de données développé par la Société Française de Médecine Générale à partir d’un réseau informatisé de médecins généralistes (Observatoire de la Médecine Générale). Ceux-ci utilisent pour leurs consultations médicales et la tenue d’un dossier médical informatisé un Dictionnaire des Résultats de Consultation (DRC) de 277 définitions transcodées en CIM10 et qui représentent 95% des problèmes pris en charge en médecine générale, un code de suivi des épisodes de soin, et une base de médicaments (Thériaque) utilisée pour leurs ordonnances, au cours de chacune de leurs consultations médicales.
La maladie chronique a été définie en utilisant une expertise de médecins généralistes, une analyse de concordance, une analyse de distribution et la construction d’une courbe ROC pour définir la valeur seuil de l’indicateur. Cette étude a permis de sélectionner les diagnostics pour la suite de la recherche
La typologie des maladies chroniques est construite à partir d’une analyse factorielle (analyse en correspondances multiples et classification ascendante hiérarchique).
Les combinaisons de maladies chroniques ont été construites à partir d’un tableau de contingence, puis d’une analyse de la distribution. Le seuil de sélection des associations retenu était de 5%.
La sélection des médicaments les plus fréquemment utilisés pour chaque classe de l’analyse factorielle était effectuée à partir d’une analyse de distribution pour le niveau ATC3; le choix du seuil de sélection était graphique (changement de pente de la courbe de distribution).
Les logiciels utilisés pour l’analyse statistique de cette phase étaient SAS 9.1 et SPAD 6.
L’analyse pharmacologique était effectuée à partir d’une sélection de 105 séances (pathologies et ordonnances) représentatives de la phase I à l’aide d’un sondage aléatoire stratifié. Il s’agissait de répertorier pas à pas, les contre-indications et les interactions médicamenteuses à partir des monographies du VIDAL.
L’expertise de 16 vignettes tirées des 105 utilisées pour l’analyse pharmacologique, était effectuée par cinq cliniciens spécialistes hospitaliers, une pharmacologue et un médecin généraliste. Il s’agissait d’une analyse individuelle systématique de chaque vignette à l’aide d’une grille (MAI), puis d’une mise en commun et d’une synthèse aboutissant à une ordonnance. En une journée 11 vignettes on été traitées.
Les focus groupes de 60 médecins généralistes répartis en 10 groupes, ont permis d’analyser les déterminants des prescriptions en contexte de poly-pathologie chronique, et d’analyser les vignettes traitées par les experts spécialistes en proposant des alternatives aux prescriptions. Les ordonnances des experts et les propositions des médecins généralistes ont été comparées. Ce travail a été enregistré, retranscris et traité sous NVIVO 8.
La phase III consistait en des propositions à partir des problèmes mis au jour au cours de l’étude, des propositions émises au cours des focus-groupes, et par l’analyse bibliographique.

Les Résultats :
Pour une sensibilité de 90,4% et une spécificité de 77%, la construction de la courbe ROC a permis de sélectionner 112 diagnostics.
L’analyse factorielle a permis de construire une typologie des maladies chroniques en 6 classes : la Classe 1 représente 37,83% des pathologies chroniques traitées. Il s’agit de pathologies centrées sur les problèmes cardio-vasculaires (HTA, hyperlipidémie, diabète de type 2, insuffisance coronaire). Elles concernent des patients chroniques de plus de 60 ans. La Classe 2 représente 23,14 % des pathologies chroniques traitées. Il s’agit de poly pathologies très dispersées (arthrose, insuffisance coronaire, reflux-gastro-oesophagien, insomnie, etc.). Elles concernent des patients chroniques âgés de plus de 60 ans dont les 2/3 ont plus de 70 ans, à forte proportion féminine, avec une forte consommation d’actes et de médicaments. La Classe 3 représente 14,34 % des pathologies chroniques traitées. Il s’agit de pathologies centrées sur la psychiatrie et les troubles musculo-squelettiques (humeur dépressive, anxiété, lombalgie, arthropathies). Elles concernent les patients âgés de moins de 60 ans dont plus de la moitié des 26-39 ans. La Classe 4 représente 13,34 % des pathologies chroniques traitées. Il s’agit de pathologies centrées sur les troubles cardio-vasculaires (HTA, hyperlipidémie) et dans une moindre mesure les lombalgies. Elles concernent des patients entre 40 et 69 ans dont près de la moitié ont entre 40 et 59 ans, avec une consommation d’actes et de médicaments modérée. La Classe 5 représente 7,52 % des pathologies chroniques traitées. Il s’agit de pathologies centrées sur les troubles musculo-squelettiques (lombalgie, arthropathies), la dermatologie, les voies aériennes, la sphère génitale féminine. Elles concernent des patients jeunes (près de la moitié des 11-25 ans de l’échantillon) ou d’âge moyen (les 40-59 ans) avec une consommation d’actes et de médicaments chroniques faible à modérée. La Classe 6 représente 3,83 % des pathologies chroniques traitées. Il s’agit de pathologies centrées sur les troubles musculo-squelettiques (lombalgie, arthropathie), et l’anxiété. Elles concernent des patients jeunes entre 11 et 39 ans, avec une consommation d’actes chroniques et de médicaments faible.

Les combinaisons de pathologies chroniques sélectionnées au seuil de 5% sont au nombre de 30. Elles concernent pour l’essentiel les associations entre pathologies et facteurs de risque cardio-vasculaires, des pathologies cardio-vasculaires et l’arthrose, les troubles musculo-squelettiques et la psychiatrie.
La sélection des médicaments par classes de l’analyse factorielle a montré pour la classe 1 que 33% des médicaments codés en ATC1 appartiennent au système cardio- vasculaire. La sélection graphique a retenu 6 classes de médicaments codés en ATC3. Pour la Classe 2, les médicaments en ATC1 appartiennent au système cardio-vasculaire pour 29,4%, et 5 classes en ATC3 ont été retenues. Pour la Classe 3, les médicaments en ATC1 appartiennent au système nerveux pour 35,71%, et 7 classes en ATC3 ont été retenues. Pour la classe 4, les médicaments en ATC1 appartiennent au système cardio-vasculaire pour 25,5%, et 6 classes en ATC3 ont été retenues. Pour la Classe 5, les médicaments en ATC1 appartiennent au système respiratoire pour 19,1% et 9 classes en ATC3 ont été retenues. Enfin pour la classe 6 appartiennent au système nerveux pour le 26,7%, et 11 classes en ATC3 ont été retenues.

L’analyse des 105 ordonnances de poly pathologies chroniques (528 pathologies et 676 médicaments) a montré que 29% des pathologies et 23% des médicaments étaient concernés par des interactions pathologies/ médicaments, et que 58% des médicaments étaient concernés par des interactions médicamenteuses. Le nombre de pathologies et de médicaments différents (72 diagnostics différents et 97 médicaments différents codés en ATC3) impliqués dans les interactions pathologies/médicaments sont respectivement de 36% et de 26%. Le nombre de médicaments différents impliqués dans les interactions médicamenteuses est de 46%. Le pourcentage de contre-indications absolues ou associations médicamenteuses déconseillées représente entre 4% et 7% des interactions, suivant les classes d’âge.

L’expertise spécialisée pour les 11 vignettes traitées, a permis de diminuer le nombre de ligne de médicaments par ordonnance d’environ un tiers. Cette réduction a permis de réduire significativement le nombre d’interactions médicamenteuses et d’interactions pathologie/médicaments.
Près de 84% des propositions médicamenteuses des experts spécialisés ont été émises par les médecins généralistes des focus-groupes. Ce taux est de 76% pour l’ensemble des propositions émises (médicaments, suivi clinique et para-clinique).
Les points forts des déterminants de la polyprescription sont des facteurs liés au médecin généraliste (organisation professionnelle et du système de soins, facteurs individuels, incertitude diagnostique, facteurs de prescription routinière), à la mauvaise communication entre médecins, aux pathologies et demandes du patient, aux effets sociétaux (importance de la santé et du médicament) et à l’industrie pharmaceutique. Pour les déterminants de la iatrogénie ont retrouve la mauvaise communication entre médecins, la mauvaise prise en compte du vieillissement des patients chroniques, la mauvaise gestion des médicaments par les patients (compréhension des ordonnances et automédication) et une informatique médicale peu ergonomique.

Les propositions d’actions :
Nous avons retenu 6 axes qui nous paraissent prioritaires.
L’organisation du système de soin en cours de transformation en France, avec une définition claire du positionnement de chaque acteur (Cf. Loi HPST). Dans ce cadre l’amélioration des échanges entre médecins est un axe prioritaire (Cf. DMP), ainsi que l’organisation professionnelle des soins par les médecins généralistes (Cf. Maisons ou pôles de santé).
Les dispositifs d’information (médias et professionnels de santé) et d’éducation des patients sont majeurs ; le patient est un acteur de santé.
Le travail sur des recommandations pour des groupes homogènes de patients poly pathologiques pour aider les médecins généralistes à repérer les situations à risque qu’elles soient médicales et iatrogènes.
L’enseignement universitaire de médecine générale et la formation continue devront prendre en compte la gestion de ces malades poly pathologiques. Les sociétés savantes de médecine générale devront travailler sur la notion de projet de soin pour un patient poly pathologique et les prescriptions (médicamenteuses ou non) pour ces groupes homogènes de patients, en fonction de son âge et du contexte de vie. Ce projet devra être réévalué régulièrement.

En conclusion :
L’originalité de cette recherche est de partir de la réalité de la pratique des médecins généralistes informatisés appartenant à l’Observatoire de la Médecine Générale L’analyse factorielle a permis de mettre en évidence qu’il est possible de créer des groupes homogènes de patients chroniques poly pathologiques en médecine générale afin de cibler les prises en charge (et donc les référentiels). L’analyse pharmacologique a permis de montrer l’étendue des interactions médicamenteuses, et des contre-indications pour des polyprescriptions chroniques. Cependant les interactions ou contre indications potentiellement graves ne dépassent pas 7% des prescriptions. Les questions qui se posent sont celles de l’utilisation pratique des référentiels de pharmacologie (avec les effets délétères des alarmes informatiques), et de mieux cibler la iatrogénie grave à laquelle est confrontée le médecin généraliste. Il est possible de diminuer le nombre de lignes de médicaments d’ordonnance de polyprescriptions chroniques, ce que montre le travail systématique d’experts spécialisés et le travail en groupes de pairs de médecins généralistes. Les focus groupes de médecins généralistes ont permis de mettre à jour que de leur point de vue, les facteurs à l’origine de la polyprescription et de la iatrogénie sont multifactoriels, le médecin généraliste n’étant qu’un élément des dysfonctionnements.

Beaucoup d’actions entreprises aujourd’hui vont dans le sens d’une amélioration de la gestion de la polyprescription : la notion de médecin traitant, les créations de maisons de santé, les réseaux de soins centrés autour de la personne, les outils d’évaluation des pratiques, les référentiels de bonne pratique, le développement de l’éducation thérapeutique, les groupes de pairs ou de qualité. Il reste deux points noirs : la communication entre les médecins et l’informatique médicale.


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